Qui peut dire à partir de quel pourcentage d’influences diverses et variées un groupe perd son appartenance à telle ou telle catégorie ? Jusqu’à présent étiqueté « death metal », y compris sur leur propre page Facebook, Rivers Of Nihil a pris tant de libertés sur son troisième album que les fervents zélateurs du genre risquent d’être quelque peu déconcertés. Mais il faut se souvenir que le regretté Chuck Schuldiner a fondé le genre avec Death (le bien nommé) sur un esprit d’ouverture qui s’étendait de la musique classique au jazz et que, depuis, bien de l’eau a coulé sous les ponts franchis par Possessed, Opeth et tant d’autres… On pourrait dès lors se demander en quoi le groupe de Reading, Pennsylvanie, se démarque tant de ceux qui l’ont précédé dans les sous-catégories les plus aventureuses du death (technique, mélodique…). Et la réponse est plus qu’évidente aux moindres détours de cet album d’une incroyable richesse.
Non seulement les musiciens se permettent tout ou presque, mais ils le font avec une perfection et une aisance insolentes. Outre les codes essentiels de son genre d’origine, ils intègrent des éléments qu’on n’avait pas ou peu eu le loisir d’entendre depuis le meilleur de la fusion, de l’ambient ou du rock progressif des années 70… On cherchera en vain une erreur dans les solos de guitare aériens dignes d’un Gilmour ou les arpèges délicats de Brody Uttley et Jon Topore (Capricorn / Agoratopia, Hollow…), les parties vocales avec alternance de growl et de chant ultramélodique de Jake Dieffenbach (Where Owls Know My Name…), les blast beats vertigineux de Jared Klein (A Home, Old Nothing, Death is Real…), les lignes de basse jazzy d’Adam Biggs (Subtle Change (Including the Forest of Transition and Dissatisfaction Dance), les interventions des cuivres, dès l’incroyable The Silent Life (ou encore Terrestria III: Wither…), sans oublier, un peu partout, les nappes de claviers soyeuses ou les envolées de violon et autres changements de tempos millimétrés… Il faut même remonter aux débuts de Dream Theater, il y a plus de trente ans, pour trouver des musiciens aussi jeunes qui possèdent à la fois un bagage technique de très haut niveau et un vocabulaire musical aussi étendu, avec une culture qui dépasse de loin la simple curiosité. Et, comme ces derniers, RON donnera certainement envie de creuser du côté de Pink Floyd, référence avouée, mais aussi de King Crimson, U.K. (avec Allan Holdsworth), Soft Machine, Frank Zappa, Magma, Mahavishnu Orchestra, Devin Townsend ou Porcupine Tree… Rien que pour cette performance louable, il mérite plus qu’une médaille en chocolat. © Jean-Pierre Sabouret/Qobuz