Ah, si les opéras avaient l’excellente idée de produire, au lieu des sempiternelles belcanteries et des éternels tubes du répertoire, plus de chefs-d’œuvre comme Bomarzo de Ginastera… L’ouvrage, créé en 1967 à l’opéra Washington – et dont voici, en première réédition, l’enregistrement de la création elle-même ! – retrace une vie un peu fantaisiste du duc Pier Francesco Orsini, un noble condottiere [chef d’une compagnie de mercenaires] italien du XVIe siècle, et dont l’on retient surtout de nos jours la création du délirant Parc des monstres de Bomarzo (d’où le titre de l’opéra). Ce parc contient un grand nombre de sculptures et de constructions toutes plus effarantes et grotesques les unes que les autres, un véritable jardin de cauchemar maniériste créé par Orsini après qu’il se fût retiré des divers champs de massacre de cette Renaissance quand même terriblement guerrière. L’œuvre de Ginastera, chantée en espagnol, fait usage de flash-backs, de personnages imaginaires, tout un magnifique arsenal théâtral qui fait de Bomarzo un incontournable monument de son temps. Sérialisme, quarts de ton, mais aussi d’amples lignes lyriques de toute beauté, font le langage de Ginastera. Singulièrement, l’œuvre ne fut enfin donnée en Argentine (le pays d’origine du compositeur et du librettiste) qu’en 1972, le gouvernement d’alors ayant estimé que le contenu hautement sexuel du livret étant contraire aux bonnes mœurs de toute dictature militaire qui se respecte. © SM/Qobuz