Avec L’Aigle noir, sorti le 28 mai 1970 chez Philips, Barbara est en partie fidèle à son image de chanteuse sombre et mystérieuse. En partie seulement. Sur des cuivres au son tantôt ronds (le cor de Michel Barboteu), tantôt fragile (la trompette sourdinée d’Ivan Julien), les refrains de Quand ceux qui vont évoquent la mort de « ceux que nous avons aimés ». L’autre chef d’œuvre ténébreux de l’album est naturellement L’Aigle noir, qui reste à ce jour la chanson la plus célèbre de Barbara. Au sein d’un univers fantasmagorique porté par une mélodie lyrique, un piano exalté, un chœur obscur et une rythmique pop, elle décrit l’arrivée d’un rapace aux ailes « couleurs de la nuit », au milieu d’un songe. Il n’est pas toujours utile d’expliquer le sens profond d’une chanson, surtout si l’onirisme en est le moteur, comme c’est le cas ici. Mais tout porte à croire que ce rapace « surgissant du passé » évoque l’inceste que la chanteuse a subi lorsqu’elle était enfant.
Arrangé par Michel Colombier (qui était alors dans sa période Serge Gainsbourg, avec Elisa ou Bonnie and Clyde), l’album oscille en réalité entre l’obscurité et la lumière. Dans Hop-là, le ton est même d’une légèreté suprême puisqu’il s’agit d’une ode aux « gambettes » qui trottinent dans les rues du XXe arrondissement (où elle a passé une partie de sa vie). La mélodie est une charmante ritournelle aux arrangements particulièrement colorés, tout comme la valse Zinzin, jouée entre autres par l’accordéon électronique, virtuose et souriant, de Roland Romanelli (lequel est également présent dans la douce-amère Amoureuse, en dialogue avec le piano de Barbara). Rappelons que le musicien fut le double musical de « la dame en noir » pendant 20 ans. À noter enfin que l’album contient deux titres créés sur la scène du Théâtre de la Renaissance en janvier 1970, lorsque Barbara comédienne jouait Madame, la tenancière d’un bordel africain, dans la pièce écrite pour elle par Remo Forlani (Je serai douce et Drouot). ©Nicolas Magenham/Qobuz