Troisième album, à peine vingt-cinq ans : Julien Baker, qui, contrairement à ce qu’indique son prénom pour les francophones, n’est pas un garçon mais une fille, a des choses à dire, et surtout une somme infinie de souffrance à exprimer. Des plaintes, des complaintes, des remords et des regrets, Little Oblivions pourrait s’avérer être un chemin de croix. Heureusement, au-delà des mots, il y a la voix et la musique, et nous sommes dans les plaines d’un bel indie folk s’ouvrant sous nos pas, ou plutôt nos oreilles. Chrétienne et queer originaire du Tennessee, Julien a mal à sa foi, et dit être victime d’un syndrome apparu au douzième siècle, la « scrupulosité » : le fait d’avoir des scrupules en permanence, de manière obsessionnel, en rapport avec sa propre religion, et de développer une obsession face à ce que l’on peut considérer ses péchés… À écouter les douze morceaux constituant cet album, on peut dire que ce problème se transforme en qualité, et que cette obsession fournie chez Baker une inspiration intense et illimitée. Comme elle le chante sur Ringside : « Beat myself till I’m bloody… So Jesus can you help me now ? » Et parfois l’illumination n’est pas loin, comme sur Faith Healer lorsque Baker déclare : « Ooh, I miss it high… How it dulled the terror and the beauty / And now I see everything in startling intensity ». On écoutera aussi Favor (avec dans les chœurs Phoebe Bridgers et Lucy Dacus, ses complices du groupe Boygenius), qui débute de manière troublante comme un morceau d’Elliott Smith, aussi bien les accords de guitare que la voix démultipliée avant d’évoluer vers une ballade plus entrainante, ou en tout cas bien moins sombre que les ballades de Mister Smith… Au final, ces Little Oblivions - « petits oublis » en V.F. - n’en sont pas et sont emplis de promesses. © Yan Céh/Qobuz