Quel disque délicieusement suranné pour un début 2013 ! Les albums de reprises, symptômes marqueurs d’un essoufflement de carrière, sont devenus un tel cliché qu’ils ne suscitent plus que bâillement. Mais là, il s’agit du rossignol de la Nouvelle Orléans, cette voix de cascade alpine enfermée dans un physique de Shrek, et dans ce cas on ne peut que se soumettre à sa relecture de classiques dans la plus pure tradition.
Quand on sait que Don Was et rien moins que Keith Richards assurent la production de ce catalogue raisonné de ces fétiches musicaux, on est d’autant plus curieux. Nous voilà donc avec une vitrine de hits certifiés, dépoussiérés mais restés dans leur jus, avec ce qu’il faut de guitares hoquetantes partout, de pianos droits dans leurs bottes et de chœurs masculins comme s’il en pleuvait, des « waooooo » et des « wap doo wap » à foison. Le personnel est hautement qualifié avec Monsieur Riff Kichards lui-même à la guitare mais aussi le frérot Art Neville à l’orgue Hammond, Benmont Tench aux claviers...
Dans ce qui devrait être un premier chapitre d’une série, Aaron Neville se glisse comme une pin up dans un fourreau dans une théorie de chansons estampillées 1952/1964, « Under The Boardwalk » (The Drifters), « Tears On My Pillow » (Little Anthony & The Imperials), « Be My Baby » (The Ronettes, où sa voix de cristal semble devoir se casser sous le coup de l’émotion), « Ruby Baby » (The Drifters encore), « Little Bitty Pretty One » (Clyde McPhatter), « Gypsy Woman » (Curtis Mayfield avec The Impressions), « Ting-A-Ling » (The Clovers), une douzaine de pépites ici lustrées avec sérieux. Aaron Neville, adolescent, s’était fait les dents sur ce répertoire doo wop et early rock’n’roll. À 71 ans, il est donc légitime pour le faire revivre avec tout le lustre qui lui est dû.
L’entreprise transpire le sourire, l’aise, le bonheur pour ces musiciens et ce chanteur de se laisser envahir par l’évidence de ces mélodies inoxydables et de les interpréter comme elles l’étaient lors de leur création, avec inspiration, savoir-faire et humilité. Le falsetto idéal d’Aaron Neville qui transfigurait le funk Big Easy de sa fratrie dans les années 1970 à 1990, trouve ici une autre raison d’être, l’éternel Great American Songbook.
© Jean-Eric Perrin / Music-Story