Heinrich Biber est sans conteste l’un des compositeurs les plus originaux et aventureux de son temps ; les techniques qu’il a développées pour le jeu des instruments à cordes feraient les délices du compositeur le plus avant-gardiste, avec la « scordatura » (l’accord des cordes selon un autre principe que l’accord habituel, de manière à obtenir des sonorités très différentes, et aussi à permettre d’autres harmonies dans le jeu à double ou triple cordes), les « pizzicato-Bartók » (un pizzicato dur qui fait frapper la corde contre l’instrument), les positions les plus aiguës alors inusitées, les double ou triple cordes tout aussi inusitées en son temps, etc. On lui doit en particulier les très singulières Sonates du Rosaire (qui ne font pas partie de cet album) dans lesquelles chaque mouvement fait appel à un accord différent des cordes, selon un principe numérologique invisible mais d’une complexité qu’aurait adoré Georges Perec ; on lui doit aussi l’extraordinaire Battalia ici offerte à nos oreilles, un des plus phénoménaux exemples de description en musique. Ladite bataille évoque les tambours – les musiciens frappent sur leurs violons, comme un guitariste folk, et Biber demande qu’ils insèrent une feuille de papier dans les cordes afin de provoquer une sorte de raclement ! –, ils jouent affreusement faux et dans n’importe quelle tonalité pour figurer les soldats ivres, ils reprennent des chants guerriers … bref, une véritable musique de film décrivant la guerre contre les Turcs au XVIIe siècle. Non moins originale est la Sérénade à cinq qui fait appel, pour le dernier mouvement, à la voix du veilleur de nuit ; tout aussi inhabituel sont les Ballets lamentables qui lamentent la fin du Carnaval. Et dans la lignée des musiques descriptives, le présent album offre également une pièce d’un véritable prédécesseur de Messiaen : la Sonate représentative de Schmelzer dans laquelle on pourra entendre tout une volière de petits zoziaux – ainsi que le chat qui vient se régaler ! L’auditeur l’aura compris, voici un programme d’une originalité folle qui offre une vision de ce XVIIe siècle férocement ludique. Les musiciens du superbe Ricercar Consort s’en donnent à cordes joie. Enregistré en décembre 2014 en l’église de Beaufays (Belgique). © SM/Qobuz
« [...] Il y a longtemps qu’un disque n’avait traduit avec tant de verdeur et de raffinements les sortilèges d’un art qu’on ne saurait qualifier autrement que de baroque, au plein sens esthétique du mot.» (Diapason, septembre 2016 / Jean-Luc Macia)