Pour les Vénitiens du XVIIe siècle, épris de la flamboyance de la République maritime qui échangeait lentement sa domination commerciale par une domination culturelle et politique, la musique de chambre vocale avait une fonction de représentation sociale, mettant en valeur l’éducation et la noblesse des interprètes dans un cadre privé, entre amis. Le ténor Zachary Wilder, accompagné à l’archiluth et à la guitare baroque Josep Maria Martí Duran, ont adopté un style conversationnel tout à fait représentatif de cet état d’esprit. Les œuvres les plus importantes et les plus opératiques de ce programme, les Lagrime d’Erminia de Rovetta et la cantate À piè d’un bel cipresso, attribuée à Cavalli, démontrent la maîtrise de ces deux compositeurs, chacun dans son style. Les Lagrime, un exemple achevé du madrigal soliste, reprend le flambeau du « recitar cantando » caractéristique des opéras de Monteverdi. L’invention du « recitar cantando » à Florence à la fin du XVIe siècle a bouleversé l’approche et l’expression musicale des sentiments : l’interprète, désormais soliste et non plus seulement membre d’un ensemble vocal, devient le porte-parole des « affetti » véhiculés par une parole poétique que la partie instrumentale ne fait que prolonger. Wilder et Duran ont choisi une sonorité délibérément moderne, une voix quasiment de crooner pour l’un et un accompagnement très chaloupé pour l’autre, soulignant ainsi l’immédiateté des œuvres présentées – qui ne trahissent en rien leurs quelque quatre siècles d’existence. © SM/Qobuz