Rodney Kendrick fait partie de ces musiciens qui ont une approche ouverte du jazz et de son histoire. Bien qu’étant un jazzman pur et dur, son jeu a été façonné tout autant par le funk et le rhythm & blues que par le jazz old school de sa jeunesse. Stylistiquement parlant, il parvient à mêler le swing et la fluidité de Bud Powell à la concision caractéristique de Randy Weston (un de ses mentors) et des pianistes qui ont influencé Weston lui-même, Duke Ellington et Thelonious Monk. Avec The Colors of Rhythm, album sur lequel l’accompagnent Curtis Lundy à la contrebasse et Cindy Blackman Santana à la batterie, Kendrick évoque ses influences à travers un mélange de compositions originales et de classiques intemporels. Sur Cindy se rencontrent l’humour ironique de Monk et l’énergie d’un Bud Powell ou d’un Sonny Clark. Son interprétation du Honeysuckle Rose de Fats Waller est à la fois échevelée et enivrante, tout aussi délicieuse que l’était la version donnée par Eric Dolphy de Jitterbug Waltz, du même Fats Waller. Il teinte Caravan d’une certaine étrangeté, conservant l’essentiel de la mélodie d’Ellington mais ralentissant le tempo et introduisant des décalages aussi subtils que menaçants. Son interprétation de Round Midnight, véritable sommet de romantisme parmi les standards du jazz, est des plus épurées, conférant au morceau des airs de sonate (l’ombre de Dave Brubeck peut-être ?). Curtis Lundy et Cindy Blackman y entrelacent leurs parties à celle du piano avec une élégance de danseurs de ballet. Avec sa mélodie sublime, la composition Aminata, sur laquelle se referme le disque, a tout pour devenir un classique. Le jeu de Curtis Lundy est à la fois solide et ondoyant. Quant à celui de Blackman, à la fois précis et sans fioriture, il évoque, par son énergie, celui de Kenny Clark. Avec The Colors of Rhythm, Rodney Kendrick rend un vibrant hommage à ceux qui l’ont inspiré, l’album bénéficiant pleinement de l’entente parfaite qui règne entre les membres du trio et de leur engagement total. © JMP/Qobuz