Lacrim

Lacrim

* En anglais uniquement

À moins d’un mois de l’élection présidentielle, et à l’heure du grand n’importe quoi démocratique, quand nos politiques exigent plus de fermeté avec les voyous, plus de places de prison, plus de ferme et moins de sursis, alors qu’eux-mêmes prennent un malin plaisir, chaque jour un peu plus, à déshonorer la fonction et à contourner la loi avec une arrogance et une mauvaise foi absolument détestables, pour ne pas dire dangereuses, une affiche dans le métro interpelle. Une affiche dévoilant une pièce où tout semble avoir été mitraillé avec une extrême violence. Un lustre à terre, des impacts de balle, des murs défoncés par des rafales, des planches qui brûlent… Et là, assis sur une chaise, impassible, insoumis, pas prêt à se rendre, Lacrim. On aperçoit, à l’arrière plan, une photo, celle de sa famille. Le cadre, lui aussi, est à terre. Mais malgré le chaos, malgré la fusillade, la photo est intacte. Ce n’est évidemment pas gratuit. Et ce titre, qui en dit déjà long: “Force & Honneur”. La devise des gladiateurs. La devise d’un homme libre, barreaux ou pas. “Pourquoi ce titre d’album? Ça vient de la prison. Ce sont des mots vraiment forts. Quand tu passes en jugement et que tu pars pour 25 piges, tu ne vas pas pleurer. Force et Honneur.”
Lacrim ne se plaint toujours pas. Au rôle de fils d’immigré américanisé à outrance et dévoré de l’intérieur par un communautarisme débile, il a préféré être cet individu qui ne doit rien à personne, préférant, toujours, la marge à l’habitude, le risque à la soumission du quotidien. Il sort de prison après une cavale qui ne s’est pas faite sans bruit médiatique. Lacrim a purgé, Lacrim est désormais sous bracelet électronique. Il attend. Pas en se croisant les bras. Non. En écrivant, en enregistrant et même en ajoutant une corde à son arc, celle d’acteur et de producteur. “Force & Honneur”, avant d’être un disque, est une mini série de quatre épisodes accessible sur la toile et aux millions de vues. Lacrim joue qui il est, c’est nerveux, efficace, malin, terriblement vivant et cela devrait rapidement devenir un long métrage.
Et ce disque, qui ne trahit rien, ni son style hardcore inimitable, ni sa rage qui a pris de l’âge mais pas de ride, dès les premiers beats, les premières nappes, dégage quelque chose de saisissant, d’impitoyable, de définitif. Lacrim a toujours su y faire au moment d’incarner l’ombre, le gangster, le fantasme d’une existence loin des us et coutumes d’une société bourgeoise séculaire. Oui, Lacrim assume. Tout. Ses paradoxes les plus vertigineux comme ses choix les moins vertueux. Quand on lui parle de ses contradictions, il ne s’énerve pas. Quand on lui fait remarquer par exemple cette obsession pour l’argent dans le disque, il ne menace ni ne s’emporte. Non. Il sourit, réfléchit et répond. La marque d’un homme qui n’a pas besoin de la morale pour assurer sa survie: “Je suis obsédé par l’argent? Ouais, tu as raison. Ça, c’est le passif. J’ai faim, je n’arrive pas à me contenter. Je sais que c’est paradoxal, je le sais. Et je ne vais pas m’énerver. Ça voudrait dire que j’ai un problème avec ça. Mais ma douleur est réelle. J’avais tellement pas, j’ai tellement été chercher. Ça a été tellement dur, une frustration pas possible! Je voyais tout passer devant moi. Et avec la peur que mes enfants vivent le même truc… Non, c’est mort! Il m’en faut toujours plus, c’est mort, je ne m’arrêterai jamais! Aujourd’hui, mes parents, ils ont des dettes! Si je ne suis pas pas là pour les aider… Les Bourgeois, ils se sont construits sur des générations. Moi, je casse tout. Je vais repartir d’aujourd’hui et je serai le premier. Et donc faut que j’aille fort pour que mes enfants, ils puissent laisser aux petits enfants. T’es fou, je ne m’arrêterai jamais! Après, il faut bien éduquer tes enfants. Bien sûr. L’argent, ce n’est évidemment pas une fin en soi. Mais je ne m’arrêterai pas, jamais (rires)… Sur ce disque, je reviens aux fondamentaux de Lacrim. Et même si tu peux sentir que je suis dur, il y a beaucoup plus de fond. Je revendique un peu plus. Et cette dernière peine m’a forgé. J’ai gagné plusieurs années d’âge mental… Et des muscles (sourire). Là, c’est moins bête et méchant. Et sans concession. Je savais qu’en sortant, j’avais une échéance, il fallait que je livre. J’ai comblé l’attente avec deux mix tapes, platine toutes les deux, que je n’ai pas pu défendre. Fallait que je leur ramène un album, ils étaient impatients…” Ce disque, réalisé par Bellek et The Ghost, est loin des clichés inhérent au style. Il y a ici quelque chose qui flirte résolument avec l’absolu, avec ce qui fait l’Homme. Il y a bien sûr les burnes et la violence, les insultes et la tête haute. Mais ça, chez Lacrim, c’est presque une évidence, une marque de fabrique. Il y a encore les émotions intérieures et extérieures, celles de l’enfermement, des enfants qu’on ne voit pas grandir, celles du soleil qui tend la main, des lendemains qui chanteront peut-être, si on sait les saisir comme il faut. Il y a le dos cassé du père manutentionnaire, les humiliations de classe, les rues, les nuits arrosées et Dieu. L’avenir et le passé mais surtout le présent. Se faire une place. Et ne plus la lâcher. Au détour d’un titre, Lacrim cite Nietzsche: “Ce qui rend fou l’homme, ce n’est pas les doutes mais la certitude”, qu’il a lu en prison. Cette phrase dit beaucoup. Cette phrase montre la voie. Ça commence avec “Colonel Carrillo”, premier titre écrit à sa sortie, du nom du gradé qui pourchasse Escobar dans la série “Narcos”. Il y a ici toute la réalité carcérale, toutes les pensées de Lacrim entre quatre murs. Et tout ce qu’il a respiré en sortant, ce qui l’a énervé, ce qu’il a observé. La famille qui souffre, le refus d’endosser la panoplie du colonisé. La violence encore, le nouveau monde après une année à l’ombre. Ensuite, “Ca paie pas”, titre à l’auto tune reptilien. Du flow. Et un constat: d’être bon, ça ne paie pas forcément: “Je n’ai pas voulu en faire un truc dur, je trouve que parfois, un “nique ta mère” en chanson, ça passe bien, ça passe mieux (rires)” précise Lacrim. Comme il a raison. “La Dolce Vita” est à la base un remix d’un morceau de Sfera, artiste italien qui monte: “Quand je l’ai écouté, j’ai kiffé direct. Je l’ai contacté et ça l’a fait. J’ai récupéré les pistes et j’ai fait le remix. C’est nouveau, il y a du trap, j’aime bien. C’est un morceau soleil. Même moi quand je vais écouter mon album cet été, j’ai envie d’avoir un petit morceau comme ça tu vois. Quand tu sors après ta peine, t’as aussi envie de ça. Et même quand t’es en prison, quand tu fumes à la fenêtre et que tu as les nerfs, tu as envie de ça. Tu rêves à dehors, à ce que tu aurais envie de faire si tu étais dehors. ”Grande Armée”, l’un des deux titres de l’album écrit en prison, mériterait de tourner en boucle à l’Assemblée Nationale. Ici, Lacrim, sans fioriture, raconte ce que c’est d’être de l’autre côté. Il ne se cherche pas d’excuse, non, il dit, tout, et c’est absolument vertigineux. Avec “Kim Jong Un”, Lacrim rappe jusqu’à l’asphyxie, il irradie une émotion qui doit moins à la Corée du Nord qu’à une réalité qui ne fait pas de prisonnier. “Nuit Blanche” dévoile une prod de ténèbres, mélancolie de l’aube, avant que le soleil n’écrase tout. : “C’est une prod vraiment folle qui m’a plu tout de suite. Une prod de Halfmoon, un jeune plein de talent. Cette prod, je l’ai reçue à deux heures du matin et j’ai fini d’écrire à six heures du mat. Ce titre, c’est que de l’émotion avec une rage, laisse tomber!” Si l’on tend l’oreille, on comprend, un peu, la vie d’un homme à la marge. “Oh Bah Oui” est un titre énorme avec Booba, qui rappe comme si Lunatic avait décidé de s’y remettre: “C’était le bon moment de le faire. J’estime que j’ai encore franchi un cap. Je pense qu’on aurait pu le faire avant mais ça n’aurait peut-être pas eu le même impact. C’est un morceau où l’on a rappé sec tous les deux. Il a accepté tout de suite. Pas de stratégie militaire ici. Tu peux parfois en faire, de la stratégie mais pas là. Moi, je voulais juste qu’on déchire tout et je suis confiant (sourire)…”. On n’attaque pas Lacrim, on ne le clashe pas. C’est ainsi. C’est comme ça. Et ça ne doit rien au hasard. Il peut donc enregistrer ce qu’il veut, avec qui il veut, quand il le veut. Force et honneur. Encore. Toujours. Vient “2 Pac”: “À la base, le morceau n’était pas dans l’album. Il nous restait dix heures avant de rendre le master et ce jour-là, on a fait deux morceaux, son et textes, en studio, ici, à Courbevoie. C’est donc un morceau surprise. Ce titre, je le kiffe, il amène une autre couleur.” Et le fantôme du New Yorkais plane.
“La Cour des Grands” est un titre solo de Walid, un gamin de quinze piges de Sevran. Lacrim tend une nouvelle fois la main à ceux qui viennent. Walid rappe et chante et c’est juste prenant. Un beat triste, une voix d’un homme à venir et surtout, un texte qui s’écoute, complainte aux larmes de rasoir. Beau: “Walid rappe depuis qu’il a treize ans. J’avais vu une vidéo sur le net qui m’avait bien plu. J’avais pris contact. Il était venu me voir en Algérie pendant ma cavale. On a enregistré des titres, il a fait un gros concert avec moi. Et aujourd’hui, il est chez Plata O Plomo, mon label. Et il a donc son morceau solo. Moi, je n’ai jamais fait poser un mec pour me le mettre dans la poche, ou l’étouffer. Quand tu vois du talent, il ne faut pas faire semblant de ne pas voir. Quand il y a un peu de place, fais de la place. Moi, je sais que j’ai le flair pour ça. Il est super talentueux, il a une vraie rage et en même temps, une vraie mélancolie. Il dit des choses que même moi, je ne pense pas encore à trente ans. Je me demande comment il fait, vraiment. Il suit les mélos, il est dedans, déjà. Il est fort.” “Cohiba” est un morceau sans concession, trap, rap, à la réal plus brute. “Tristi”, avec Ghali édifie une passerelle entre la France et l’Italie. Un pays qui a toujours plu à Lacrim, il a d’ailleurs vécu plusieurs mois à Rome. “20 Bouteilles” devrait envahir les clubs d’ici et d’ailleurs cet été, sans problème. “Laisse-Les”, avec SCH, était une évidence. Les deux se sont trouvés et maintiennent la pression. “Pardon” est 100% rap français. À l’ancienne. Super bien écrit. Pareil, il y a de la rage et de l’émotion. Je l’aime particulièrement ce morceau dit Lacrim. Il y a aussi un joli piano de pluie. “Mythone Pas”, avec Rimkus, porte bien son titre. Lacrim préfère la vérité aux rêves qui crèvent à la première claque. “Solitaire”, “c’est un morceau pour le bled. Pour l’Algérie, vu que j’y ai passé huit mois. J’ai vraiment pu me rendre compte de l’impact que j’avais là-bas sur les jeunes et sur la communauté. J’ai fait beaucoup de concerts. J’ai voulu faire un morceau pour eux, avec des bruits de stade.” “Rockefeller” est un titre vraiment dur. “Sale” précise Lacrim, en rigolant. C’est vrai. “Traîtres”, les adeptes de Lacrim ont déjà pu l’entendre dans sa mini série. Les basses sont agressives et les lyrics explicites. “Histoire de” est un autre titre en solo, de AM, en provenance de Marseille. Enfin, “Papa Trabaja”, ultime track avec Bruluxx, où il est moins question de flamenco que de lucidité virile, que de cette hargne à vouloir mettre les siens à l’abri. De Montreuil à Neuilly, d’Alger à Ibiza, on aime Lacrim. On l’écoute. On guette ses disques. Lacrim sait. Aux beaux discours qui n’endorment que les ânes et les déjà soumis, il préfèrera toujours les actes. Les preuves. Les confirmations. Ce disque vient de là. Lacrim ne triche pas. Que ça plaise ou pas. Que ce soit légal ou pas. Il est. Intensément, dangereusement, sincèrement. La victoire ou la mort. Force et honneur.

Nom légal

Karim Zenoud

Type

Personne

Née

29 avr. 1985

Né en

Paris

Pays

France

Sociales

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