* En anglais uniquement
Il est temps. Le cinéma l’a consacré, avec un César en 2018, à la musique maintenant d’embrayer. Il est temps. Oui, bien sûr, « Robots après tout », avec « Louxor j’adore » en puissant ambassadeur, a posé un jalon, ô combien. Mais on n’a souvent voulu voir depuis en Philippe Katerine qu’un aimable fantaisiste, ce qui en soi ne serait déjà pas mal, mais ce qui en l’occurrence ne suffit pas. Il est l’un des plus grands créateurs de la musique chantée en France, point barre. Et « Confessions », son 10ème album studio, est là pour le signifier.
C’est un disque, rendons grâce aux mots, génial. Un type de cinquante balais capte comme personne l’air du temps dans ce pays. Emprunte aux sons de l’époque (Frank Ocean, Kendrick Lamar, PNL…), par goût, et les accommode à sa sauce, à son histoire, vient nous parler de lui pour nous parler de nous, et de ce que nous vivons, et la façon dont nous le percevons. Il vient nous dire des choses, de façon parfois frontale, sans renoncer à l’hédonisme, au groove, à la joie d’être là, vivants, même douloureusement.
Pour le connaître et, j’ai envie de dire, le pratiquer depuis longtemps, je ne me lasse avec Philippe pas d’être surpris d’être surpris. Je me pose toujours la question : jusqu’où ne peut-il pas aller ? Il me semble s’autoriser une liberté de ton totale, musicale et textuelle, qui fait sa particularité et ne peut qu’interroger toutes les voix de ce pays, engoncé.e.s que nous sommes dans nos systèmes rythmiques, harmoniques et nos auto formatages, textuels et musicaux. Il y a chez Philippe Katerine l’idée d’une rebellion permanente, non affichée, et qui en fait tout le sel.
J’ai découvert la plupart des morceaux de « Confessions » au studio Ferber, où il enregistrait avec Renaud Létang, déjà derrière les manettes pour « Robots après tout » (2005), lorsque nous avons enregistré les prises voix de « Bof génération », Philippe m’ayant fait l’amitié et l’honneur de m’inviter sur son disque. A écouter les autres morceaux, j’ai été saisi par la justesse de ton de ce que j’entendais. Il y a des moments dans la vie d’un.e artiste chantant où l’on perçoit, sans bien savoir pourquoi, que l’artiste y est pleinement, investi.e dans son art comme rarement. J’ai senti ça en découvrant des chansons aussi différentes que « Stone avec toi », imparable single, « Aimez-moi », titre mélodique crève coeur, ou « Duo », fusion parfaite avec la voix d’Angèle, pour une vision du couple appelée à faire école : « On a le même tempo mais pas le même pattern »: banco.
D’autres voix traversent le disque, celles de Camille, Gérard Depardieu, Chilly Gonzalès, Lomepal, Oxmo Puccino, Lea Seydoux, les enfants de Philippe, mais si j’osais, je dirais : on s’en fout des noms. Nombre de commentateurs se focaliseront sur eux, quand l’essentiel est ailleurs : il est sur la polyphonie, sur le séquençage, pas si sage que ça, des voix entre elles, y compris, celle de Philippe, démultipliée, et qui font de « Confessions » un film auditif, à prendre dans son intégralité, où l’on sent littéralement la vie circuler. Et qui renvoit logiquement au « Film », l’album précédent (2016), avec lequel il forme un possible diptyque.« Le film », en formule piano voix, relevait du journal intime musical, et « Confessions » tout autant, mais sur un mode plus partageur, plus participatif et extraverti. Peut-être parce que thématiquement, le sexe y occupe une part non négligeable. Depuis longtemps, Philippe Katerine a fait sienne l’antienne de Funkadelic : « Free your ass and your mind will follow ». Mais jamais peut-être de manière aussi flagrante que dans cet album (confer notamment l’injonction programmatique « Ouvre l’anu », dans la chanson « La clé »). Il y a chez lui une façon de dire et chanter les choses sans filtre, et qui, à mille lieues de l’image de l’artiste barré, en fait au contraire l’un des plus terriens qui soit, apte à parler de la paternité ou de la mort d’un proche, ou de thèmes sociétaux (racisme dans « Blond », homophobie dans « 88 % », vanité de la parole politique dans « Bébé panda ») en usant des termes les plus précis, sans pathos ni prêchi-prêcha, mais au contraire avec l’air de ne pas y toucher, tout en légèreté.
En résumé : cela fait bientôt trois décennies que Philippe Katerine officie publiquement dans ce pays. En nos terres rive gauche, il est parvenu à développer un univers pop totalement personnel, avec une ouverture d’esprit qui fait qu’aujourd’hui plus qu’hier, il est l’un des artistes les plus pertinents de la scène hexagonale, admiré par ses congénères d’hier comme par les plus jeunes pousses de la musique populaire francophone. Ces jours ci sortent ses « Confessions », où l’intime et l’universel se rejoignent comme jamais sur un disque chanté / déclamé en français en 2019, fourmillant de vie, et qui plus est porté par une interprétation hors pair. C’est aussi touchant que réjouissant, et excitant comme rarement un disque de nos jours, sorte de « The No Comprendo », la pierre angulaire discographique des Rita Mitsouko, contemporain. A rendre jaloux tous ses congénères chantant, qui seraient bien inspirés de passer aussi à confesse. Moi comme les autres.
DOMINIQUE A